lus de 14 siècles après sa
naissance dans la péninsule arabique, l’Islam est devenu la religion qui suscite le plus de controverse
dans le monde entier. Cet état de fait est la conséquence des nombreuses
interprétations auxquelles cette religion est soumise. Voilà donc un prétexte qui
justifie amplement l’intérêt particulier que présente l’étude de l’histoire des
différents courants qui constituent l’Islam.
Parmi ces tendances, le soufisme.
Il retient singulièrement l’attention par son coté mystique et philosophique.
Décrié et déprécié par certains gens de
la voie, le soufisme reste toutefois ignoré du grand nombre qui ne saisit pas
assez sa quintessence : la <<haqiha>>.
Le soufisme a une histoire et une
trajectoire qui l’amène jusqu’en Afrique noire où il compte bon nombre de ses
adeptes. De l’Egypte au Soudan en passant par le Nigéria, le soufisme ou
l’islam confrérique s’est étendu en Afrique par le biais de confréries comme la Tidjania, la Qadriya, La Karkaria, la Mouridiyya... Au Sénégal,
la majeure partie de la communauté musulmane (94% de la population) est
affiliée à ces différentes confréries. Assez méconnu mais très bien suivi, le
soufisme à travers les confréries occupe une place importante dans la vie
socio-politique des sénégalais.
I/ Le
Soufisme, courant de L’Islam sunnite
A l’instar de toutes les
religions révélées, l’Islam connait des divergences d’interprétation survenu
après la disparition du Prophète Mouhamed(Psl) en 632 sur le calendrier
Grégorien. Deux principaux courants se revendiquent aujourd’hui de l’Islam
authentique : le Chiisme et le Sunnisme.
Après le rappel à Dieu du
prophète, le problème de sa succession s’était posé. Pour les chiites, le Khalifa
revenait d’office à Ali gendre et cousin du prophète tandis que pour les
sunnites qui étaient plus nombreux, il fallait faire valoir le droit d’ainesse qui allait consacrer Aboubakr comme 1er
khalife de l’Islam. Les chiites se disent donc suivre la lignée du prophète qui
est sacrée au moment où les sunnites se consacrent à perpétuer la tradition
prophétique appelée souna.
Au sein maintenant de l’islam
sunnite, on retrouve entre autres orientations le salafisme et le Soufisme.
Le Soufisme se définit comme un
ésotérisme mystique qui se base sur deux piliers fondamentaux : la charia (loi
islamique) et la haqiha (vérité intérieure). Mais ce qui fait la particularité
du Soufisme c’est la haqiha. Elle est une quête de rapprochement de Dieu.
Islam, Imane et Ikhsan sont les trois degrés de la religion. Et à propos de Ikhsan
(bienfaisance) qui est le cœur du soufisme, un hadith rapporte que l’Ange Gabriel
a enseigné au prophète Mouhamed(Psl) l’Ikhsan en ces termes « …c’est que tu
adores Dieu comme si tu Le voyais, car certes si tu ne Le vois pas, Lui te voit».
Le grand maitre Imam Malik ajoute à ce
sujet <<Celui qui étudie la
jurisprudence (tafaqaha) et n'étudie pas le soufisme (tasawwuf) est un pervers
(fâsiq); et celui qui étudie le soufisme et n'étudie pas la jurisprudence est
un hérétique (zindîq); celui qui allie les deux, atteint la vérité ou est le parfait
réalisé (tahaqqaqa)>>. Cette assertion venant d’un éminent maitre a
certainement titillé la curiosité intellectuelle de beaucoup de musulmans. La
quête de la perfection par la connaissance a poussé bon nombre de précurseurs à
emprunter ce sentier mystique.
II/ La
Gnose par le Soufisme
Le prophète Mouhamed (Psl) dans
un hadith a dit << quiconque se connait soi-même, connait son Seigneur>>.
Et dans la religion musulmane, le Soufisme est la branche qui s’intéresse le
plus à l’intimité l’être ou la proximité qu’il doit y avoir entre le serviteur
et son Seigneur. Dans un hadith divin
dans lequel Allah (Swt) dit<<
Connaissez-moi avant de m’adorer, car si vous ne me connaissez pas comment
allez-vous m’adorer ?>>. Voilà donc deux hadith qui justifient
pleinement la nécessité du soufisme ou d’un quelconque moyen susceptible de d’éclairer
la lanterne du croyant musulman. Le seul but du soufisme est donc d’amener le moutaçawif (aspirant) à la connaissance
de Dieu qui passe par soi-même. Cette connaissance devrait amener l’aspirant au
plus degré de la Tawhid qui consiste
à adorer Dieu exclusivement <<…
Quiconque, donc, espéré rencontrer son Seigneur, qu’il fasse de bonnes actions
et qu’il n’associe dans son adoration aucun autre à son Seigneur>> Surate18,
verset110.
Toutefois, le
Soufisme est une voie assez difficile à suivre. L’aspirant à la connaissance
suprême appelée gnose est tenu de se mettre sous la tutelle d’une personne apte
à lui indiquer la voie adéquate. L’endurance, la sobriété, l’abnégation sont
les qualités indispensables à l’acquisition de cette connaissance. Car la
Tarbiya (éducation spirituelle) met en épreuve l’aspirant en le privant de
toute cho…se qui pourrait l’orienter dans le mauvais chemin. Il s’agit donc d’interrompre
toutes les attaches terrestres par le Zikr ou invocations permanentes des noms
divins auquel s’ajoute la méditation sur le Seigneur, sa toute-puissance mais
surtout sur soi-même. Ceux qui sont déjà passé par cette voie (Tarbiya) sont
appelés les initiés, les gnostiques.
Les gnostiques ont la
particularité d’être souvent stigmatisés pour ne pas dire craints par les
non-initiés. Cette marginalisation est due aux propos qu’ils tiennent
lorsqu’ils sont dans un état de fusion de l’âme dans l’Unicité de Dieu. Cet
état appelé Fana’a fi lah (extinction en
Allah) qui généralement ne dure pas longtemps est le passage obligé pour
traverser par tout soufi digne de ce nom. C’est dans cette situation que le
grand maitre Mansur al-Hallaj avait dit <<ana AL-haqq>> ou <<
je suis la Vérité(Dieu) >>. C’est à cause de ces propos qu’il a été
condamné à mort et exécuté par ses frères musulmans qui l’on jugé avec la
charia or dans la Haqiha, ce genre de discours extatique est connu et admis.
Apres l’extinction
dans le divin, le désormais gnostique acquiert la connaissance qui le lie
intrinsèquement à son Seigneur. Ce savoir et appelé Mahrifatu bilahi et la personne qui le possède est appelé Arif bilahi. L’apaisement ou baqa’a est l’état qui vient après la Fana’a. Ce ‘’retour sur terre’’ permet à
l’initié de pouvoir vivre harmonieusement avec ses semblables tout en étant
très diffèrent d’eux.
III/ Le Soufisme
au Sénégal
Malgré le
poids de l’islam confrérique dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest, le soufisme
est très méconnu au Sénégal. Et pourtant les plus grandes rencontres
religieuses du pays à savoir le Grand magal de Touba et le Gamou de Tivaouane se
tiennent dans des localités rendues populaires par de grands maitres soufis
comme Cheikh Ahmadou Bamba et El-Hadj Malick SY.
La
majeure partie des musulmans de ce pays sont des adeptes du Mouridisme et de la
Tidjania. Deux confréries qui sont fortement encrées dans le soufisme pur dès
les origines.
Le cas du
Mouridisme : Le terme « mouride » dériverait du verbe Irâda, puis de murīd qui signifient respectivement
« la volonté » et « celui qui veut », « celui qui
aspire à », sous-entendu en quête de l'agrément de Dieu
(Mouridulahi). Cette confrérie fondée par Cheikh Ahmadou Bamba à fait parlé
d’elle dans tout le pays notamment avec le disciple Cheikh Ibrahima Fall. Ce
dernier a révélé une grande connotation soufie dans le Mouridisme. Par sa haute
station, il avait délaissé la prière et le jeûne pour se consacrer uniquement
au Zikr qui est l’élément de base du Soufisme. Cheikh Ibrahima qui est désigné
par cheikh Ahmadou Bamba comme le chemin qui mène à la gnose (babul mouridina), est très connu, mais pas
suivi où alors mal suivi. La plupart des disciples mourides aujourd’hui suit cette
confrérie tout en ignorant de ses fondements soufis qui expliquent son nom
(Mouridiyya ou voie qui mène à Dieu). C’est devenu comme une tendance que
d’être mouride. Artistes, lutteur, citoyens lambda nombreux sont ceux qui se
revendiquent de cette confrérie.
Cependant
une partie de cette confrérie semble toujours rester dans les fondements soufis
du Mouridisme. C’est un petit nombre
avec comme tête de fil Cheikh Moussa Cissé qui est un disciple mouride.
Les discours que tiennent les disciples de Cheikh Moussa Cissé sont très proches
de ceux des premiers mourides. Ils sont appelés Yalla-yalla (Allah-Allah) parce qu’ils ne parlent que de la connaissance
de Dieu (Mahrifa) et à la fusion de l’être dans l’unicité divin. Et à l’instar
des premiers soufis, ils parlent souvent de choses qui ne tombent pas sous le
sens, par conséquent, ils sont stigmatisés et repoussés. Et naturellement ils
sont très attachés au Zikr et à la méditation. Ils font la Tarbiya comme
indiqué plus haut et appellent à la gnose.
A
l’instar de la confrérie Mouride, la Tidjania au Sénégal souffre du même mal.
Des millions de gens se disent disciples tidjane or ils ignorent l’aspect
mystique qui est à la base de cet ordre religieux. Toutefois, une partie de
cette communauté appelle elle aussi à la connaissance de Dieu (Mahrifa) :
cette frange à pour maitre Cheikh Ibrahim Niass. Ce grand maitre de la Tidjania
est bien connu au-delà des frontières du Sénégal. Ses disciples ont un discours
à forte teneur d’ésotérisme et ils sont mieux acceptés dans la société
sénégalaise contrairement aux Yalla-yalla.
Voici
donc la situation du soufisme au Sénégal. Une voie qui à travers les confréries
compte des millions d’adeptes toutefois, elle est ignorée dans ses principes et
ses fondements par le plus grand nombre.
IV/
Soufisme et extrémisme religieux
Le
soufisme est défini par les plus éminents maitres soufis comme Amour. L’Imam
Al-Ghazali a dit à ce sujet « Aimer Dieu
est l’ultime but des stations spirituelles et le plus haut sommet des rangs de
noblesse. Il n’est de station au-delà de celle de l’amour qui n’en soit un
fruit et un corollaire ». Ainsi, la violence se trouve-t-elle exclu du
champ de l’ésotérisme. Le grand maitre Ibn Arabi ajoute « Sache que la station spirituelle de l’amour est une
station très insigne, et que l’amour est à l’origine de l’existence ». Dès lors, le
soufisme s’inscrit en faux contre le terrorisme au nom d’Allah. On remarque au Sénégal que la question de la
radicalisation ne se pose pas comme au Nigéria. Cela est dû à la prépondérance
des confréries soufies dans toute l’étendue du pays. Bien que le Soufisme soit mal connu en tant que ésotérisme et quête de
la gnose, il constitue un bouclier indispensable à la stabilité confessionnelle
au Sénégal. L’islamologue Bakary Samb a dit à ce propos << Au Sénégal, les confréries soufies restent
encore un rempart contre l’extrémisme violent. >>.
Cependant il est recommandé de faire mieux
connaitre le Soufisme aux disciples des différentes confréries au Sénégal. Le
radicalisme doit être combattu par l’éducation
et non par les armes. Il faut rendre accessible la pensée soufi qui est parfois
confiné dans un langage plus ou moins fermé.
Pour finir, un poème extatique de l’Emir Abd
El-Kader qui témoigne du mysticisme soufi et du haut degré de Tawhid (culte
exclusif d’Allah) des Soufis.
Je suis Dieu, je suis
créature
Je suis Dieu, je suis créature; je suis Seigneur, je
suis serviteur
Je suis le Trône et la natte qu'on piétine; je suis
l'enfer et je suis l'éternité bien heureuse
Je suis l'eau, je suis le feu; je suis l'air et la
terre
Je suis le "combien" et le
"comment"; je suis la présence et l'absence
Je suis l'essence et l'attribut; je suis la proximité
et l'éloignement
Tout être est mon être; je suis le Seul, je suis
l'Unique.